La théorie de Philippe

A C C U E I L

"L'histoire vraie" de MULHOLLAND DRIVE ne nous est contée que dans la dernière demi-heure du film, mais dans un désordre chronologique. Tout ce qui précède (soit avant l'ouverture de la  mystérieuse boîte) doit être vu comme le rêve, le pur phantasme d'une jeune femme, Diane (Naomi Watts) quelques instants   avant   (ou après ?) son suicide… La clé du film est bien sûr que Diane et Betty sont une seule et même personne, la seconde n'étant que la projection fantasmée et idéalisée de la première. Mais…

… qui est Diane ? Une apprentie-actrice, lauréate d'une compétition de Jitterbug au Canada et qui a hérité d'une certaine somme après la mort de sa tante. Venue tenter sa chance d'actrice à Hollywood, elle y rencontre, lors d'une audition pour un premier rôle une certaine Camilla (Laura Elena Harring) belle jeune femme brune, qui lui ravit le rôle. Les deux femmes entament une liaison amoureuse et charnelle. Mais Camilla ne semble pas fidèle. Alors qu'elle semble gravir les barreaux de l'échelle menant au succès et que Diane végète et échoue dans ses propres tentatives, Camilla trompe Diane devant ses propres yeux lors d'un dîner avec une autre jeune actrice (vue dans la première partie du film sous le nom de… Camilla) et à une party avec le réalisateur Adam qu'elle paraît prête à épouser…
Diane choisit de se venger en l'éliminant. Pour ce faire, elle loue les services d'un tueur qu'elle paie 50 000 dollars. Celui-ci l'avertit qu'elle trouvera chez elle une clé bleue lorsque le contrat sera remplie. Ce qui est fait… Mais Diane est assaillie par sa conscience, revoit en flash-backs ce qui l'a amenée à prendre une telle décision (les séquences que je viens d'évoquer) et "rêve" une autre histoire, toute à son avantage…
C'est cette histoire que le spectateur a suivi durant les deux premières heures du film…

Diane imagine s'appeler Betty (en réalité le prénom de la serveuse du snack ou Diane passe contrat avec le tueur). Sa tante n'est pas morte et lui prête son appartement (en place de l'héritage d'argent). Camilla échappe à la mort promise, "sauvée" par un accident imprévu de voiture (remord de Diane). Dans son rêve, Diane débaptise Camilla (devenue amnésique) et la rebaptise Rita, symbole de tout le glamour hollywoodien (Rita Hayworth)…
C'est une autre actrice qu'elle nommera Camilla, celle imposée (dans son rêve) par la maffia au réalisateur Adam. On peut y voir deux raisons: d'abord, cette fausse Camilla  représente en fait la vraie qui a soufflé le rôle à Diane et révèle une certaine forme de paranoïa de cette dernière, convaincue (à tort ou à raison) que les actrices sont choisies dans les coulisses sur des critères autres que purement artistiques… Deuxième raison à ce transfert de prénoms: il permet à Diane, dans son rêve, de conserver à la fois la vraie Camilla de chair (mais sublimée et "épurée" dans sa version "Rita") et la Camilla actrice et rivale (version "This is the Girl" ). On notera que la "fausse" Camilla est blonde, que c'est elle qui embrasse la vraie au dîner et que dans son fantasme, Diane /Betty affuble Rita/Camilla d'une perruque blonde semblable à la sienne mais aussi à celle de la fausse Camilla… 

Dans son rêve, Diane n'invente quasiment rien ou plutôt ne sort rien du néant. Elle ne fait que (ré)utiliser de vrais personnages, voire de vraies situations en en changeant ou intervertissant seulement les éléments…
On l'a vu pour Camilla et pour elle-même… Coco, en réalité la mère du réalisateur Adam, qui montre un intérêt poli et un brin condescendant envers l'histoire de Diane, devient une femme sympathique et protectrice, sorte de gardienne du bloc d'immeuble où habite Betty… Le tueur qu'elle embauche pour tuer Camilla se transforme par le biais de son imagination en meurtrier maladroit dans une scène de carnage à l'humour noir féroce qui n'est pas sans évoquer le Pulp Fiction de Tarantino… Le cow-boy aperçu à la party de la fin du film renvoie au mystérieux personnage menaçant le réalisateur s'il n'enrôle pas la "fausse" (et blonde) Camilla (scène succulente)… Le couple de vieux (symbole de la conscience de Diane ? écho de sa pureté perdue ? et peut-être ses vrais parents car on les aperçoit dans la toute première séquence, celle de la compétition de Jitterbug) vu en chaperons à l'arrivée de Betty à L.A… La voisine de Diane reste… la voisine de Diane… Mais dans la première partie du film, la Diane que nous voyons n'est pas la vraie, elle n'est qu'un chaînon de l'histoire, un élément lié au mystère de Rita. Le fait que cette Diane là est "vue" par la vraie (alias Betty) comme morte et pourrissant dans sa chambre exactement dans la même position que la vraie Diane à la fin du film pose question: Diane visionne-t-elle avec précision sa mort prochaine ? ou bien cela signifie-t-il que son "rêve" se produit en fait APRES sa mort ? A chacun, ici, de choisir…
Ce qui est valable pour les personnages l'est aussi, bien entendu, pour nombre d'objets passant de la réalité de la fin à la "fantaisie" du début: les 50 000 dollars, la clé bleue, le carnet noir, les combinés téléphoniques…

L'un des meilleurs exemples de la façon dont Diane, l'actrice ratée, fantasme "ce qui aurait dû/pu être " se trouve dans la scène de son audition, où Betty se révèle une fantastique actrice, à mille lieux de la petite provinciale timide et hésitante et… de l'actrice ratée… De même, l'attitude de Rita, complètement dépendante de Betty et ne prenant qu'une seule initiative envers elle (sexuelle) se trouve à l'opposé exact des rapports Camilla/Diane, tels qu'ils apparaissent dans la dernière partie (réelle) du film…

De même, la scène du théâtre "Silencio " revêt une importance capitale. Non seulement c'est là que Betty va trouver dans son sac la mystérieuse boîte (qu'ouvrira la clé bleue, déclenchant le basculement du rêve à la réalité) mais le thème même du spectacle qui y est proposé sert de clé mental au film: rien de ce qui semble vrai ne l'est, tout n'est qu'illusion, car tout à déjà été enregistré, est déjà joué, est terminé…

Bien sûr, certains éléments du film résistent à la réflexion et conservent leur mystère. Peut-être qu'une deuxième vision –voire plus- permettront, là encore, d'en trouver d'éventuelles clés…

Philippe Serve
07/12/2001

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